Du bain turc à la VAD : |
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Il y a lieu de se réjouir. La démocratisation de l'espace muséographique est susceptible d'ouvrir un discours critique plus complexe, un métatexte au référentiel cultivé dépassant les seules têtes de gondoles de l'histoire de l'art. Le pastiche est en voie de s'épicer. Et c'est bien là le coeur du projet artistique de Nadège Dauvergne qui télescope les créatures de Manet, Ingres et autres maîtres de l'art ancien et pré-moderne dans un espace a priori faiblement artistique : la VAD (vente à distance). Arguons que la publicité est une isotopie résurgente de l'art moderne dont la sémantique n'est pas la même selon que ce soit l'artiste qui considère le milieu de la publicité ou que ce soit le publicitaire qui détourne une oeuvre infiniment reconnaissable à des fins marketing. Néanmoins l'oeuvre des artistes majeurs du POP ART (Lichtenstein, Warhol en premier lieu), et dans une certaine mesure le propos même de ce mouvement, a donné lieu à la production d'un nombre tel de produits dérivés, que la finalité du Pop Art peut sembler rejoindre l'usage de l'art dans la publicité dont on ne compte plus les occurrences. L'oeuvre de Nadège Dauvergne constitue donc une voie médiane intelligente entre ces deux approches. Oeuvre de réflexion ludique autant qu'inventive sur la publicité, et particulièrement - avec son dernier corpus - sur la promotion et VAD, l'artiste, qui s'inscrit dans une démarche allant de la parodie et la satire accentue l'usage commercial (en utilisant un matériau promotionnel, en accolant le calque artistique à l'indication proéminente des prix) afin de grossir le décalage entre l'idéal artistique et sa récupération sociétale. Cet appariement décoratif, visuellement plaisant, demeure un artefact. Cet art du décalage est d'autant plus patent que c'est à l'art ancien et non l'art moderne ou contemporain que revient la charge du contrepoint. Reprenant la technique du collage aux artistes surréalistes sans toutefois renoncer à la réalité pour elle-même - ce qui n'exclut pas le geste créatif du dessin au Posca faisant suite au collage conceptuel - l'artiste Nadège Dauvergne peut ainsi emprunter des figures dénudées à un artiste éminent de l'art (pas si) académique : Jean-Auguste-Dominique Ingres. Nus élégants, esthétique singulièrement aboutie, fruits d'une conjoncture historique et d'un artiste génial jouant avec l'anatomie de ses sujets, ces nymphes issues d'un autre siècle et système artistique interroge le consumérisme multiplemment : investissant de leur présence languide le décor artificiel d'un catalogue de vente à distance, la dissonance entre ces prix devenus plus importants qu'un sujet animé s'impose au spectateur. Ces nymphes formulent aussi la mise en scène de l'instrumentalisation de la féminité, la réification des femmes qui tend à se réduire mais survit néanmoins comme un stigmate régressif à l'obsolescence tenace. A l'instar de l'Arte Povera, Nadège Dauvergne se sert d'un matériau à priori pauvre, - il ne s'agit ici ni de chiffons ou ordures mais bien de récupérer ce qui est arrivé à péremption, des flyers et autres catalogues promos périmés -, pour porter un regard sur la société et ses liens de dépendance à la consommation. Un regard où se lit une dérision constructive. Le cadeau "Olympia" transforme le propos initial de Manet - lui-même glose du Titien - doublement scandaleux par la surimposition contrastante entre la figure d'une prostituée blanche nue servie par son esclave noire. Pourtant, la portée est évidente. L'ex-hétaïre Olympia est "le cadeau" car la femme, support d'une communication en robe légère ou "topless", demeure une marchandise, vecteur efficace de la vente d'autres marchandises : les produits au coeur des catalogues recyclés par l'artiste. |
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Née en 1973 au Burkina Faso, Nadège Dauvergne excelle dans le médium du dessin - qu'elle enseigne - conjoint à la technique conceptuelle du collage. Son oeuvre remarquée au Salon 2012 de Montrouge a particulièrement retenu notre attention. Accélérant sa réceptivité, l'héritage publicitaire de l'une des co-fondatrices de notre galerie, ancienne Directrice de création dans des agences de publicité et communication, nous permis de mesurer la pertinence de son regard qui ne dénature pas ce qu'elle dénonce avec une causticité amusée. En somme, le projet artistique de Nadège Dauvergne, qui a elle-même exercé dans le milieu publicitaire, rejoint par les réflexions qu'elle instaure et perpétue le postulat premier de la galerie WE ART TOGETHER : appréhender la dynamique artistique dans sa diachronie (culturelle, historique…), son raffinement, sa densité et l'infinie richesse des interactions qu'elle suscite. Décloisonner le temps et l'espace. Supprimer les cloisons étanches qui enferment aujourd'hui la création contemporaine en dépit des hybridations technologiques. Percevoir une oeuvre d'art comme l'exacte médiation entre le relativisme complexe de Levi-Strauss et l'autocratie des chefs-d'oeuvre véhiculée (non sans nuances) par Malraux. Découvrir l'oeuvre de Nadège Dauvergne et son parcours : www.nadege-dauvergne.e-monsite.com |
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Texte © Elise Walter – Galerie d’art WE ART TOGETHER |